Chronique du Colibri n°15
L'affaire Tournesol
La nature fait partie du décor de nos vies si bien que nous ne prêtons plus guère attention à ses détails. Couramment cultivées, les fleurs du tournesol ne passent pourtant pas inaperçues. Elles sont même une source d’inspiration pour l’artiste qui les a souvent célébrées dans ses œuvres (Vincent Van Gogh pour la peinture, Michel Legrand pour la musique, par exemple).
Le fait que le tournesol soit commun et ancré dans notre culture ne le rend pas pour autant familier. En effet, les croyances ont encore la vie dure à son sujet. On entend souvent dire de sa fleur qu’elle suivrait la course du soleil. Ceux qui vous l’affirmeront en auront pour preuve son nom signifiant littéralement « qui tourne au soleil ». Il était donc temps de rouvrir l’affaire tournesol !
Qu’en est-il vraiment des mouvements de sa fleur? Et puis s’agit-il vraiment d’une fleur comme on le prétend souvent ? Quels sont les mystères cachés au fond d’un tournesol ?...
La Valse des tournesols
S’il est une idée fausse bien répandue, c’est celle de la fleur du tournesol qui suivrait la course du soleil pour bénéficier d’un maximum d’ensoleillement au cours de la journée. Quiconque observera de près le phénomène risque d’être fort déçu car aucun mouvement n’est observable, si ce n’est le léger balancement de la tige au gré du vent...
Mais toute légende détient une part de vérité.
En effet, c’est le bouton floral, encore fermé, qui suit la course du soleil. Le matin, il est orienté à l’Est, en direction du
soleil et suit sa progression vers l’ouest. La nuit, le mouvement inverse s’opère de telle sorte qu’au matin suivant, le bouton floral se retrouve à nouveau face au soleil. Une fois le bouton
éclos et la fleur ouverte (généralement le matin), cette dernière restera fixée vers l’Est et n’en bougera plus ! Ce n’est donc pas la fleur du tournesol qui suit la course du soleil, mais
son bouton floral, encore fermé.
Profitons de l’ouverture du tournesol pour y porter un regard attentif. S’agit-il bien d’une fleur ?...
Le tournesol n'est pas une fleur !
Parler d’une fleur de tournesol est un abus de langage car à bien y regarder, ce qu’on prend pour une grande fleur est en réalité constitué de centaines de petites fleurs (nommées fleurons) regroupées au sein d’une même structure qu’on appelle le capitule. Les fleurons ligulés sont répartis en périphérie du capitule. On les reconnait facilement à leur grand pétale jaune orienté vers l’extérieur (1). Ces fleurons stériles ne donneront jamais de graines. Leur seul rôle, et non des moindres, est uniquement l’attraction des pollinisateurs. Le cœur du tournesol est quant à lui formé par la réunion de centaines de fleurons à la morphologie bien différente. Les fleurons du cœur ont en effet perdu leurs longs pétales colorés et prennent donc la forme d’un tube. Les fleurons tubulés du cœur produiront des graines après passage d’un insecte et fécondation (2).
C’est ainsi qu’un tournesol n’est pas une fleur mais un véritable bouquet de centaines de fleurs miniaturisées qui se répartissent le travail : attirer le pollinisateur (fleurons ligulés) et assurer la descendance (fleurons tubulés). Cette construction florale n’est pas spécifique aux tournesols mais commune aux marguerites, pâquerettes et bien d’autres plantes sauvages ou cultivées de la famille des Astéracées (nom donné à cette famille de plantes dont la morphologie évoque l’astre solaire). Portez maintenant attention à la disposition des fleurons tubulés au cœur du tournesol : vous n’êtes pas au bout de vos surprises…
Tournesol et mathématiques !
Quand on observe un tournesol de près, on est frappé par la disposition des fleurons tubulés. On voit comme des spirales qui se croisent pour former ce motif un brin hypnotique! L'agencement des fleurons et donc des spirales ne doit rien au hasard mais répond à une suite mathématique connue sous le nom de suite de Fibonnaci (du nom du mathématicien qui l’a découverte). Cette suite commence par 0 – 1 et pour obtenir le reste de la série, il suffit d'additionner les deux nombres précédents. Ce qui donne :
0 – 1
– 1 – 2 – 3 – 5 – 8 – 13 – 21 – 34 – 55 – 89 etc.
Maintenant reprenez votre « fleur » de tournesol et amusez-vous à compter les spirales qui vont vers la droite et celles qui vont vers la gauche. Les deux nombres que vous obtiendrez
seront toujours deux nombres consécutifs de la suite de Fibonacci ! Pour un tournesol de taille « normale », on tombe la plupart du temps sur 34
spirales droites et 21 gauches. Pour les spécimens les plus petits, on trouve 21 spirales droites et
13 gauches et pour les plus gros, on obtient 89 droites pour 55 gauches. Troublant, non ?
Plus fort encore. Prenez les deux nombres obtenus et faites le rapport spirales droites sur spirales gauches (34:21 ou 21:13 ou bien encore 89:55). Vous obtiendrez invariablement 1,61... ce qui correspond au fameux nombre d'or, celui des « divines proportions » bien connu des bâtisseurs de cathédrales… Ce phénomène n'est pas propre aux tournesols. De nombreuses constructions naturelles répondent à la suite de Fibonacci, à la spirale d'or et au nombre d'or : la disposition des écailles d’une pomme de pin, les motifs sur les ananas ou bien encore les spirales sur les coquilles d’escargot…
La nature, une fois débarrassée des idées reçues, est décidément pleine de surprise !
